De: mer. 13:33 Objet: Pages d'ecriture : lectureA: Véro et Thibaud Bonjour à tous, Voici une petite réflexion, après quatre séances d'écriture par groupe, et le début d'expériences de lecture des textes des élèves en classe, sur l'importance fondamentale de cette lecture collective des textes (quelques commentaires à ce sujet mis en ligne, pendant les vacances de Noël, dans la page consacrée à Cendrars). La question est probablement à creuser, mais surtout l'expérience est à mener : je n'ai jusqu'ici rien vécu de plus vivant (sinon un chahut, mais alors je ne m'en réjouissais guère) dans une salle de classe, et qui ne soit pas un bruit fatigant, passif ou hostile. Après quelques tentatives avant les vacances, j'ai débuté l'année sur une reprise orale des textes des élèves, avec des tentatives variées pour favoriser une lecture énergique. Que d'énergies en effet ! Une classe, peut s'avérer bruyante tout en étant totalement absorbée par la tâche de lecture. Qu'on se le dise : il faudrait sans doute demander à pouvoir faire cours de français, au moins une fois par semaine, dans une salle de sport, ou dans quelque endroit où l'on peut abandonner tables et chaises et s'asseoir par terre, en conservant éventuellement un stylo et un peu de papier... A ce titre, une comédienne du Centre Dramatique Régional de Tours a très gentiment accepté d'intervenir deux heures dans chacun des trois groupes. L'une des conditions, c'est de pouvoir pousser tables et chaises, ce qui bien entendu n'a pas pu être fait jusqu'ici. Je mets beaucoup d'espoirs dans cette intervention pour obtenir de mon principal une petite dérogation ! Là où l'expérience est riche, c'est également pour le professeur, qui découvre chez des adolescents une énorme envie de textes à lire (avec leur propre voix ). Voilà qui rassure sur un prétendu rejet de la littérature et des livres de leur part. Plus que jamais, je suis persuadé de l'urgence, dans le système éducatif, à favoriser, dans les formations initiales ou continues des professeurs, dans les réunions officielles, dans les "programmes", une prise en compte de la dimension en quelque sorte spatiale de la familiarisation avec la littérature. En somme, un "gueuloir" par établissement ! Qu'on lise suivant tel ou tel axe est certes intéressant, mais qu'on lise avant tout ! Les "retours" sont presqu'immédiats, et peuvent, si le procédé s'étend un tout petit peu, être de long terme : j'ai été surpris de voir circuler (chez quelques-uns seulement, mais tout de même) les "Lettres à Lou", les "Calligrammes", ou de voir aterrir sur mon bureau des petits poèmes qui reprenaient les procédés utilisés en atelier (je ne les mets pas en ligne, pour éviter précisément que soit détournée la spontanéité que donne la séance elle-même). Finalement, je crois que ce qui est rejeté, c'est en grande partie la situation de lecture dans laquelle le sens est à chercher, en fonction de celui qui dirige la séance, au lieu d'être trouvé, ici et maintenant, par la voix (y compris si la phrase demeure obscure). Peut-être un éclairage dans dans le "Livre des marges" d'Edmond Jabès, (dans la section "L'aile et le lien"). Voici une citation que je ne saisis pas ou peu, mais où la fin me semble très parlante : ==================================== (Quel vide m'attire ? Après le Nom et la loi, après le signe et la cendre, ah ! de tous les vides, ma voix ? ... quand l'oeil se fait audible et la voix, regard sonore.) De cette peur de tout qui blanchit les nuages, ma voix ne fut, dans le désespoir, qu'appel réitéré au secours ; de cette peur apocalyptique de Rien - terreur du dernier silence - qui me libérera ? ... c'est pourquoi la lettre demeure l'obstacle à constamment abattre pour conjurer la peur. Agir de concert avec la mort, c'est, à ce stade propice, écrire protégé. Mourir de la voix, c'est mourir de la parole de la vue. Périr de la lettre, c'est périr de la vue du vocable. (p. 59 dans l'édition "biblio / essais" du Livre de Poche) ==================================== Très cordialement, Thibaud Saintin ______________________________________________________ Pages d'écriture : http://www.chez.com/verotibo/ecrit/index.html verotibo@chez.com "Si ma liberté n'était pas dans le livre, où serait-elle ? Si mon livre n'était pas ma liberté, que serait-il ?" Edmond Jabès, Le Livre des marges.