De: mer. 21:28 Objet: Pages d'ecriture : Blaise CendrarsA: "Véro et Thibaud" Bonjour ou bonsoir, Après une pause, une nouvelle séance va avoir lieu avant les vacances, avec des élèves de Quatrième et de Troisième. Cette fois, ils travailleront à partir d'extraits de La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France, de Blaise Cendrars. Demain, une Quatrième, dès huit heures, s'y mettra. Jeudi en vendredi, les deux autres classes. L'optique sera similaire à celle utilisée pour Apollinaire : une série de perceptions, sur un trajet donné et bien connu d'eux (pour éviter l'angoisse de l'invention totale, de la page blanche), captées par un narrateur immobile dans un train ou tout autre véhicule (je pense déjà avoir droit aux fameux "boosters" !). Cependant, cette fois, c'est le déplacement qui constitue la trame implicite du texte à l'arrivée, même s'ils travailleront sur des éclats, des images dans l'ordre où elles leur parviennent. J'essaierai de leur interdire le recours direct à "je" ou "tu", en tolérant le "on", pour provoquer l'apparition d'un narrateur qui se contente de "capter", sans épanchement (voir série d'images dans la "Prose". En fichier joint, les deux extraits que je leur donnerai en classe). Peut-être leur signalerai-je, pour aller dans le sens de l'idée de fugue, d'aventure, les images en point de fuite, les percées vers des possibles entraperçus. Ce sera sans doute un peu plus difficile, étant donné qu'on fait appel à l'image, cette fois-ci. L'intérêt sera sans doute plus vif si j'insiste au préalable sur le "parcours" de Cendrars, sur l'importance de la fugue, et sur l'apparition de l'écriture dans une vie mouvementée. Je lirai le plus tranquillement possible une bonne partie du poème. Le temps d'écriture proprement dit sera volontairement réduit, pour qu'un temps de partage plus important soit pris au sein de la classe... Demain sera une séance d'essai, qui déterminera sans doute ce qui sera fait ensuite dans les deux autres classes. Toutefois je mettrai les textes comme précédemment, en mélangeant les prénoms. La consigne sera probablement en ligne aux environs de mercredi prochain. Quant aux textes, je commencerai à les taper pendant les vacances, mais pas tous, car je compte associer les élèves de plus près à cette tâche en les emmenant, dès janvier, dans la salle informatique (toujours pas connectée). Tâche pour eux ludique puisqu'ils découvrent souvent le traitement de texte. De fait, la mise en ligne sera sans doute plus tardive. Je vous tiendrai au courant si cela doit s'éterniser. Informations diverses : 1. Pour une meilleure lisibilité, j'ai ajouté dans certaines pages un tout petit script java, qui permet, sur les navigateurs qui le détectent, d'éviter que le texte soit souligné lorsqu'il y a un lien. Les listes de prénoms apparaissent donc désormais comme un texte standard, non souligné, ce qui me paraît plus agréable, notamment pour un prénom. 2. Nous sommes désormais 28 dans cette "liste". J'espère que l'hiver vous offre d'agréables moments. Cordialement, Thibaud Saintin ______________________________________________________ Pages d'écriture : http://www.chez.com/verotibo/ecrit/index.html verotibo@chez.com "Si ma liberté n'était pas dans le livre, où serait-elle ? Si mon livre n'était pas ma liberté, que serait-il ?" Edmond Jabès, Le Livre des marges. --------------------------------------------------------------------- BLAISE CENDRARS (1887-1961) La Prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France (EXTRAITS) (...) Et pourtant, et pourtant J'étais triste comme un enfant Les rythmes du train La "moelle chemin-de-fer" des psychiatres américains Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés Le ferlin d'or de mon avenir Mon browning le piano et les jurons des joueurs de cartes dans le compartiment d'à côté L'épatante présence de Jeanne L'homme aux lunettes bleues qui se promenait nerveusement dans le couloir et me regardait en passant Froissis de femmes Et le sifflement de la vapeur Et le bruit éternel des roues en folie dans les ornières du ciel Les vitres sont givrées Pas de nature! Et derrière, les plaines sibériennes le ciel bas et les grands ombres des taciturnes qui montent et qui descendent Je suis couché dans un plaid Bariolé Comme ma vie Et ma vie ne me tient pas plus chaud que ce châle écossais Et l'Europe toute entière aperçue au coupe-vent d'un express à toute vapeur N'est pas plus riche que ma vie Ma pauvre vie Ce châle Effiloché sur des coffres remplis d'or Avec lesquels je roule Que je rêve Que je fume Et la seule flamme de l'univers Est une pauvre pensée... (...) "Blaise, dis, sommes-nous bien loin de Montmartre?" Nous sommes loin, Jeanne, tu roules depuis sept jours Tu es loin de Montmartre, de la Butte qui t'a nourrie, du Sacré Coeur contre lequel tu t'es blottie Paris a disparu et son énorme flambée Il n'y a plus que les cendres continues La pluie qui tombe La tourbe qui se gonfle La Sibérie qui tourne Les lourdes nappes de neige qui remontent Et le grelot de la folie qui grelotte comme un dernier désir dans l'air bleui Le train palpite au cœur des horizons plombés Et ton chagrin ricane... "Dis, Blaise, sommes-nous bien loin de Montmartre?" Les inquiétudes Oublie les inquiétudes Toutes les gares lézardées obliques sur la route Les fils téléphoniques auxquelles elles pendent Les poteaux grimaçant qui gesticulent et les étranglent Le monde s'étire s'allonge et se retire comme un accordéon qu'une main sadique tourmente Dans les déchirures du ciel les locomotives en folie S'enfuient et dans les trous les roues vertigineuses les bouches les voix Et les chiens du malheur qui aboient à nos trousses Les démons sont déchaînés Ferrailles Tout est un faux accord Le broun-roun-roun des roues Chocs Rebondissements Nous sommes un orage sous le crâne d'un sourd