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"Faire de la poésie" en milieu scolaire
(décembre 1999)


[...]

La mise en voix m'intéresse beaucoup : j'aimerais parvenir, avec les enfants, à ce qu'on mette sur pied un mini-spectacle (quelques minutes) à partir de leurs propres écrits. J'ai déjà remarqué qu'au moment où nous relisons les textes qu'ils ont écrits, le fait d'essayer plusieurs pistes, plusieurs voix, est nécessaire, porte plus loin pour le groupe ce qui s'est dit en écrit (prête une bonne chair de viande saignante à une parole !). Mais ça s'arrête à des bricolages plus ou moins improvisés, même si c'est plaisant. D'où l'envie de recourir aux compétences de Léa, du Centre Dramatique de Tours, qui veut bien tenter quelque chose avec le dernier groupe. Toujours par association d'idées : Serge Pey, je crois fait beaucoup aussi sur la mise en voix (bâtons sculptés de poèmes, etc. voir sur le site d'Uzeste http://www.uzeste.com).

Je suis bien entendu ravi que vous citiez le site dans votre revue. A vous lire, je viens de réaliser que les textes des élèves peuvent être qualifiés de poésie : je n'y avais pas vraiment pensé, un peu perdu dans la tentative d'exprimer pour moi-même ce qu'au fond je leur demande, en m'inspirant des pistes qui m'ont été données.

Du même coup, je réalise à quel point ce qu'on appelle "faire de la poésie" en milieu scolaire est restrictif, et l'idée de faire un article est intéressante, mais elle me met devant plus de questions que de réponses. En gros : on pourrait d'abord poser quelques principes. Voici en vrac quelques pistes :

Ce qu'on peut dénoncer : globalement, en milieu scolaire, pour aborder "la poésie", on signale des "règles" chez certains qu'on dit "classiques", pour dire ensuite que d'autres les "transgressent" parce qu'ils sont "modernes", ou comble du comble, "contemporains"... Parfois on utilise très grossièrement un peu de linguistique : "fonction poétique du langage", celle qui "ne sert à rien et c'est pour ça que c'est bien et qu'on admire tous, amen". C'est bien sûr une caricature. Le modèle par excellence est souvent le sonnet, qui permet de traverser quelques siècles. Après tout, pourquoi pas, mais sans doute aurait-on en effet intérêt à poser quelques jalons pour un enseignement fondé sur une pratique préalablement dégagée du souci, précisément, de "faire de la poésie" - celle qu'on trouve sur les cartes postales, parce que ça rime, et parce qu'il y a de l'amour dedans, ou des choses joliment dites, ou des règles de composition. On ne dit pas qu'on en fait, parce que l'enjeu n'est pas de la nommer, mais de s'y confronter d'abord.

Plutôt partir du discours de Stockholm de Saint-John Perse, où le parallèle est fait avec la science. Mais je manque du recul et de la culture nécessaires, et au fond, on va vers surtout vers la description d'une pratique avant tout, qui se passe d'abord des terminologies, de l'obsession de l'étiquette préalable ("on fait la leçon puis les exercices") pour éviter d'aller dans les chemins de l'information...

Au passage, dans Proust (que je viens de commencer), il y a beaucoup sur la "formation" à l'esthétique, qui ne passe pas du tout par un savoir descriptif, mais par un appétit, par le besoin de connaissance, de vérité :

"Si mes parents m'avaient permis, quand je lisais un livre, d'aller visiter la région qu'il décrivait, j'aurais cru faire un pas inestimable dans la conquête de la vérité" (p. 76, en bas, en Quarto). -> Il est bien question de vérité. Avec Bergotte, il est question d'agrandissement de l'esprit, d'effusion musicale, etc. Autrement dit : si on va directement vers une sollicitation, une perturbation plus ou moins intime, pour une plus grande perception du monde où l'on intègre la parole, sans se bloquer sur un métalangage, on donnerait peut-être plus facilement accès à "la" poésie aux enfants, qu'en leur apprenant à nommer et classer des vers "bien tournés".

Et qu'on accepte le temps qu'il y faut du temps, du brouillon, de l'imperfection, de la nullité aussi  : "C'était par exemple, quelque roman de Saintine, un paysage de Gleyre où elle découpe nettement sur le ciel une faucille d'argent, de ces oeuvres naïvement incomplètes comme étaient mes propres impressions et que les soeurs de ma grand-mère s'indignaient de me voir aimer. Elles pensaient qu'on doit mettre devant les enfants, et qu'ils font preuve de goût en les aimant d'abord, les oeuvres que, parvenu à la maturité, on admire définitivement. C'est sans doute qu'elles se figuraient les mérites esthétiques comme des objets matériels qu'un oeil ouvert ne peut faire autrement que de percevoir, sans avoir eu besoin d'en mûrir lentement des équivalents dans son propre coeur". (p. 125). C'est ce mûrissement qu'il est bien difficile de susciter : la voix, les perceptions immédiates, on aurait sans doute intérêt à les convoquer plus directement, sans essayer la moindre "récupération" pédagogique immédiatement rentable (en terme de récitation de leçons).

Partir de ce qui perturbe : "même si c'est vrai, c'est faux" (Michaux). La vérité pour l'esprit dès lors ne peut s'établir qu'en parole, c'est ce qui fonderait, plus que le besoin de décoration, une approche de la poésie. Et pour éviter trop de théorie, on remonte ses manches, et on cherche à plusieurs, dans un atelier, à partir de paroles déjà là, faites par d'autres qui ont essayé.

Voilà à chaud les premières remarques que m'inspire la question de l'enseignement de la poésie en milieu scolaire. Cela va-t-il dans un sens qui vous paraît utile ? J'avoue que j'ai bien peu de temps pour me consacrer véritablement à la rédaction d'un véritbale article, et que j'aurais plutôt tendance à poser quelques principes, pour susciter ensuite des contacts, des échanges, ces compte-rendus d'expériences, que la liste de diffusion ou un entrefilet pourraient relayer.

Qu'en pensez-vous ?