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Réponse à un message à propos de reconversion "dans les ateliers"
(novembre 1999)


     Bonjour ou bonsoir,

     Ce que vous dites là me touche en plein dans le mille : j'enseigne depuis 93 (année où j'ai commencé mon stage après avoir passé le concours), j'ai eu un an de service militaire, et quelques promenades dans l'académie d'Orléans-Tours. Je commence ma deuxième année en poste fixe, j'ai 29 ans. Et paf : le rêve pas si vieux de grands partages, tous les jours, à chaque début d'heure, remis au placard, même si la chance est laissée à chaque fois... Très vite, des envies de reconversion ! D'où l'idée qui me semblait urgente d'essayer par quelque moyen que ce soit de faire rentrer les livres, ceux qu'on aime (et pas forcément des récits du genre Le Secret mystérieux de l'île maudite des zombies du futur), l'inquiétude en ce qui concerne la littérature plutôt que les "types de textes".

     Mais au bout de deux années, dans un collège où tous nous sommes fatigués de tant de violence et d'absurde, il faut bien avouer que les idées de démission continuent leur chemin, surtout au petit matin en partant, et le soir en revenant ! Seulement voilà : démissionner pour quoi ? Et aussi la conscience que cette interrogation n'est pas que la mienne, mais qu'elle grandit autour de moi entre ceux qui veulent démissionner ou évoluer, et ceux qui résistent parce qu'ils ont renoncé à se demander l'intérêt d'une punition ou de ce qu'ils enseignent, parce qu' "il faut que ce soit marqué dans le classeur un point c'est tout", et qu'il y ait "le silence" (de mort ?) qui est celui des bons profs... Le tout dans le contexte bien connu : l'isolement de chacun, avec quelques points culminants pour les rencontres : la photocopieuse, la cafetière, la saisie des notes, la réunion à laquelle on ne croit pas. Cela m'est devenu insupportable, comme à nous tous probablement. Mais il reste dans le château des petits espoirs du côté de ceux qui bougent encore : j'ai pris contact avec des personnes du GFEN (Groupe Français d'Education Nouvelle), - voir éventuellement pour prendre contact à http://www.chez.com/gfen/, et à propos d'écriture créative, le site Ecriture Partagée - , qui raccroche l'éducation à ce qui n'est pas qu'à l'intérieur de l'école. Il y a là des instituteurs, des acteurs sociaux, des philosophes, on se réunit et on parle aussi de ce qui se passe en ville, dans l'idée d'éducation, et pas seulement dans les programmes. Je n'ai pas encore eu le temps de m'impliquer par là, mais peut-être est-ce une piste ?

     Il y a danger aussi : l'atelier a du sens parce qu'il est en décalage, c'est donc plus facile pour lui d'avoir bonne figure face au reste, surtout en vitrine comme sur le site. Le quotidien est beaucoup moins lisse. Et qu'adviendrait-il si cela le devenait, sous forme de métier ? Autrement dit, une façon de faire, avec des procédures ? Il y a sans doute un danger à vouloir instrumentaliser le décalage, qui au fond est celui de la langue : on aboutirait aux absurdités comme celles qui consistent à finir par ne résumer la poésie, pour aller vite avant l'oral du bac, qu'à un "écart par rapport à la norme"... Il y a aussi une histoire que je ne connais pas des ateliers, qui remontent à longtemps apparemment, et qui devrait sans doute être prise en compte.

     En tout cas, il y a sans doute une piste sûre : s'y jeter, et voir après. Autrement dit, se préparer, tenter l'expérience, ne serait-ce qu'une fois, le jour où on la sent, et s'entourer : c'était l'idée du site, de la liste de diffusion qui marche avec, et qui donne des résultats : des inscrits, des visites, des messages d'encouragement, des contacts par le filtre du mail qui fait qu'on ne se voit pas le visage, et qu'on se parle sans doute de ce qui touche plus directement, de ce qui emmène vers la solitude de la table de travail, ou vers l'ordinateur et tout l'espace possible qu'il représente derrière l'écran, une fois la commande "envoyer" actionnée.

     Illusions, certes, mais des pistes tous les jours ou presque (et du temps !!!). J'avais dans l'idée également que la liste pourrait relayer ces interrogations : nous sommes tant, j'ai telle question, qui se sent prêt à y répondre ? On peut relayer dans la liste, puis en "privé" par le courrier électronique si ça déborde le collectif. Un jour aussi on se rencontre en vrai. En tout cas, sans doute aussi un peu volontairement, pour m'obliger à chercher et à lire (j'aime bien le mot de Michaux, dans je ne sais quel livre, sur la "nescience", la volonté de ne pas savoir-faire, "l'homme gauche"...), je ne connais pas encore vraiment les pistes officielles.

     Pour le moment, je suis allé voir du côté de François Bon : il y a dans sa page ateliers des liens vers ses textes, qui donnent de l'espoir, et l'envie de s'y mettre. Il donne des pistes infiniment riches pour se poser des questions avant d'essayer (notamment la préface de son travail à Tramelan, où j'ai trouvé des pistes sûres). De quoi faire fonctionner son imprimante et se promener dans l'appartement avec le résultat, et un crayon de papier... Et dans ses livres, la force qui donne envie de lire tous ceux qui sont autour et dont on réalise bien qu'on ne connaît que le nom, parce que même à la fac, c'étaient des résumés dans les anthologies, puisqu'on avait la grammaire, l'ancien français, le latin à préparer - et une vie à se faire, des rendez-vous. Aussi des prises de distance. En ce moment, un texte très éclairant où il est question, précisément du côté du formateur, des formations). Il avait signalé aussi quelque chose à Aix je crois, un diplôme, mais je ne sais plus où cela en est.

     J'ai l'impression qu'autour des ateliers se fait aussi beaucoup de vent, et qu'il y a des miroirs aux alouettes, autrement dit des "formations" plus ou moins payantes qui ne sont pas grand chose d'autre que des recettes, des exercices tout faits, etc., mais qui ne mènent pas au questionnement qu'on voudrait. Or sans dout tout passe par le "réseau" qu'on arrive à tisser autour de soi, au questionnement qu'on arrive à porter à l'échelle d'une collectivité, fût-elle virtuelle un temps, mais suffisamment pour se faire accepter ses propres yeux qu'on est suffisamment convaincu pour accepter la prise de risque avec un groupe. Certainement, ça ne viendra pas d'en haut, ni dans les "réformes" qui vont nous tomber dessus, mais peut-être plutôt des à-côtés, et des livres surtout, dont on a décidé qu'ils importaient plus directement que la règle du participe passé ou le "schéma narratif" (qu'un cours qu'on a sous forme de "post-it" suffit à ressasser).

     Un peu plus de concret maintenant : on peut faire passer votre message (sous une forme abrégée si vous voulez) dans la liste de diffusion, en demandant que les intéressés vous répondent directement. Cela a été fait plusieurs fois, apparemment il y a eu des résultats, des prises de contact. Qu'en pensez-vous ?

     Comme j'ai mis le nez dans Saint-John Perse, pas beaucoup : Exil), mais il y a peut-être déjà de quoi se trouver des échos :

     Pour la désillusion :

     "l'épouse nocturne avant l'aurore reconduite"...
     "les poèmes de la nuit avant l'aurore répudiés" ...
     "Et les poèmes nés hier, ah ! les poèmes nés un soir à la fourche de l'éclair, il en est comme de la cendre au lait des femmes, traces infimes..."

     Mais pour ce qui vient si on s'y met :

     "Et de toute chose ailée dont vous n'avez usage, me composant un pur langage sans office, voici que j'ai dessein encore d'un grand poème délébile"

     Les citations sont dans le même poème (Exil), et dans l'ordre !

     J'espère que ma réponse n'est pas trop embrouillée. Si jamais on tombe sur une piste sûre, faites m'en part : on se recroisera sûrement !

     A bientôt j'espère,

     Cordialement,

     Thibaud Saintin