Avril 2020 : premiers pas vers le wat Ton Sai

Rédigé par Thibaud Saintin Aucun commentaire

Entre le retour (le 20 février) et l'annonce qu'on n'allait plus pouvoir aller à l'école, j'ai eu le temps d'aller seul à Koh Chang quelques jours. J'avais prévu d'y retrouver S., sa petite fille, sa famille, mais on s'est mis à recevoir des injonctions à la quarantaine... Alors je suis resté seul resté à l'hôtel, à regarder la pluie, dormir et méditer. Rentré à Bangkok, j'ai appris que l'école ne rouvrirait pas. Sauf pour réunir tous les professeurs, histoire qu'on leur explique comment ils n'allaient plus avoir le droit de le faire, à supposer qu'ils en eussent eu l'idée ou le temps.

On a joué le jeu des "visioconférences", de la novlangue qui essaie de faire passer cette farce et des termes cuistres, pleins de suffixes en -"-iel" et en "-tion" pour du professionnalisme...

Entre deux séances "en ligne", on pouvait encore aller marcher dans les parcs... Et puis on s'en est fait exclure. On a vu pousser des check-points avec des gardes autant impassibles qu'implacables, parce qu'il y avait des récalcitrants comme nous, inquiets de savoir où marcher... On a bien réussi à se faire des petites promenades le long du khlong Saen Saep, qui traverse le centre de Bangkok : c'est juste au bout de la rue. Mais ça restait très urbain. Un jour, avec C., on essaie une autre formule.

D'abord, où est-ce qu'on respire, dans cette monstruosité ? Où s'arrête la ville ?

On cherche à trouver l'endroit qui serait à la proximité de là où l'on dort, de là où il faudra moins de 50 minutes à moto, dans les gaz d'échappements, à se faufiler, pas trop loin du centre - mais à la périphérie tout de même, là où la carte verdit. Là où les aéroports sont encore hors du centre.

Assez vite, on comprend qu'il faut aller chercher les sillons bleus : les rivières, les canaux (les "khlongs"). Ça ne suffit pas : on n'est jamais sûr qu'on aura la place de se poser, de s'arrêter, de cesser de courir, dans ces lieux d'humaine densité... Il faut prévoir où on pourrait simplement pouvoir garer la moto sans encombrer. Dans les "wat" (les temples bouddhistes), on sait qu'il y aura de la place, qu'on y sera accueilli avec bienveillance, et qu'on n'y sera probablement pas volé, karma oblige. L'avenue "On Nut" n'est pas loin, et, sur la carte, on voit bien le tracé en bleu d'un khlong qui devrait permettre de marcher, en commençant d'un bord du khlong et en revenant par l'autre.

Cette première tentative au-delà des eaux du centre, voilà qu'elle ouvre tout un monde qu'on avait oublié d'imaginer tant il était à portée de main.

La première chose qu'on comprend vite, à force de se pousser pour laisser passer vélos et motos, c'est que ces passerelles qui longent tous les canaux sont des axes essentiels pour tous ceux qui vivent là. Pour aller sur l'avenue, il n'est pas d'autre moyen que de passer par le khlong. Le béton fait partie du service public : c'est moche, mais c'est essentiel. On n'y exclut ni les piétons, ni les vélos, ni les petites motos. Les barrières, qui évitent les chutes dans l'eau fétide, sont loin d'exister partout.

On a dû circuler par ici depuis des siècles, et s'y poser. Les rivières en Asie du Sud-Est, je ne sais pourquoi, sont souvent des lieux où se retrouvent des communautés musulmanes. On l'impression que là où une mosquée s'installe, un wat lui répond, et inversement.

De la passerelle principale, celle qui longe le knhlong et va jusqu'au-delà de la ville, on devine des échappées vers d'autres jardins. On aurait presque oublié que nous longeons des jardins, et que le temps s'est arrêté. On ne sait pas encore qu'on ira par là-bas, un jour, mais on en a déjà envie, on sait qu'on reviendra ou qu'en en aura envie.

D'augustes mains vertes prennent soin des plantes, de leurs fleurs et de leurs fruits.

L'inévitable ordure a sa place. Elle suppose une organisation, des circulaires, des petits chefs, des pointages, le réveil de

celui qui s'est levé avant le jour pour curer les fontaines, et c'est la fin des grandes épidémies.

Elle attend l'éboueur qui la prendra sur son bateau :

Et l'ordure n'exclut pas la rêverie du crépuscule. Nous autres "rentrons", d'autres rêvent à quelque ailleurs.

Du petit magazin de quartier où nous achetons une boisson fraîche, on voit venir ceux qui repartent aussitôt avec un kilo de sucre ou de farine...

...et ceux qui passent d'un bord à l'autre.

On aura le temps de se demander comment il se fait qu'on soit si proche et si loin à la fois.

On ne manque pas l'appel du muezzin pour autant...

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