L’idée qui ne veut pas passer

Rédigé par Thibaud Saintin 1 commentaire
Classé dans : Pauses-poses Mots clés : journal

Les vingt-sept heures et quelques d’une porte à l’autre, les fuseaux horaires, les queues dans des interstices douaniers, le poids des valises dans les escaliers du métro pas prévu pour, ou sur des trottoirs pisseux… m’avaient éloigné un moment de toute forme de retour à la lenteur.

Voilà pourtant plusieurs mois qu’il m’a paru indispensable de « sortir » d’un cinquantenaire questionnement par la pratique du journal intime. À cela s’ajoute un « suivi de mes habitudes » dans Notion qui m’invite à inventorier tous les moments de « vraie vie » ; tous ceux que semble interdire l'incessante sollicitation des comptes personnels, des profils à mots de passe, des slogans, des plateformes aux noms vaguement exotiques, mythologiques, émétiquement souriants (tous ces mots de vitesse, systématiquement) : aller marcher au hasard, lire, cuisiner lentement, s’efforcer de songer au bien qu'on pourrait faire à d’autres.

Décalage horaire oblige, c’est bien avant l’aube que j’aère, prépare du café, écoute à la fenêtre les fêtards finir leur nuit en colères, en déclamations ou en vomis. Pendant la demie-heure de méditation, devenue quotidienne également – où l’on essaie de laisser passer ce qui vient – surgit une idée latente depuis des mois : écrire régulièrement et publiquement quelque chose, malgré la peur de n’avoir rien à dire qui vaille.

L'idée qui ne veut pas passer, c'est qu'il n'y a pas de stabilité possible sans la pratique de la « mise en mots » qu’il me semble avoir essayé d’éviter pendant vingt ans peut-être, mais à laquelle j'ai le sentiment de revenir chaque fois qu’il s’agit exister.

Depuis plusieurs mois maintenant, nous avons un lieu qui nous "appartient". Et pourtant, un décalage de plus de plus de vingt années au loin s’est installé : aussi bien là bas, où nous ne vivons pas moins, qu’ici d’où nous ne sommes que comme là-bas : en étant ailleurs… peut-être y a-t-il dans la parole publiée un complément quotidien utile à d'autres que le journal qu'on se réserve pour les – grandes ou petites –  innombrables misères de l'esprit.

Un peu plus tard, l’idée travaillant toute seule, le terme extime paraît un moment convenir pour parler de cette envie d’écrire de son propre dehors vers un autre dehors. Mais… c’est déjà pris par Michel Tournier. Et ce mot ne rend justement pas compte du décalage profond qui s'est installé avec les êtres et les lieux, ni de cette espèce de désancrage, dans lequel il y a forcément une part de soi impossible à abolir. Alors, il reste « para ».

Ainsi commence, peut-être, ce « journal para–time ».

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